J'ai passé plus de 70 ans de ma vie à faire semblant. Faire semblant que je suis gentil, serviable, affable, poli, bref, je faisais semblant d'avoir tous les attributs du parfait gentleman.
Il m'arrivait des jours, en me rasant, de m'interroger sur le masque que j'avais en face de moi, au point que, instinctivement je forçais sur la lame pour voir qui se cachait derrière.
Avec l'âge, le masque a commencé à se friper, alors je l'ai tout bonnement enlever. Mais mon nouveau MOI n'arrive pas à se débarrasser des scories de la bienséance que j'ai cultivée des années durant même si je deviens plus impatient, quelque peu agressif.
Le plus inquiétant c'est que je me trouve des relents d'intolérance, un sentiment qui était pour moi jusque là inconnu. Exemple : hier, voir une femme voilée m'était complètement indifférent, aujourd'hui j'ai l'impression que c'est moi qui étouffe sous ce voile.
Il serait plus commode de s'en remettre à la formule de J.P Sartre : l'enfer c'est l'autre ! Je ne me résoudrai jamais à une telle injustice car on est toujours l'autre de l'autre. Puis-je par exemple dire que ma compagne qui partage ma vie depuis plus de 40 ans a été mon enfer juste parce qu'elle a été mon autre ? Mais alors, même sous l'apparence de l'époux idéal, n'étais-je pas son autre et par conséquent son enfer ?
Mon nouveau MOI, parce qu'il est sensé me ressembler, ne m'apporte qu'un vaniteux sentiment d'affirmation personnelle. Quid alors de la sérénité à laquelle on aspire légitimement à mon âge ? Le plus redoutable c'est d'avoir à être injuste, car j'ai toujours vécu avec ce sentiment diffus que la Justice constitue le dernier rempart contre l'effondrement de l'âme.
Que faire ? "Tempête sous un crâne" aurait dit J.J. Rousseau. D'une part je n'arrive pas à me départir totalement de mon masque sous lequel tout le monde me connaît, d'autre part je n'ai pas le sentiment d'avoir investi mon nouveau MOI. Dites-moi, est-ce que je le veux vraiment ?
Abdelahad Idrissi Kaitouni.
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